Exclusif ! Iran ...
Du metal extrême au pays
des Ayatollahs
- De notre envoyé spécial à Téhéran, Dimitri Groult -
Visite guidée clandestine avec Alireza Deineath
(Misty Graveyard)
Afin que vous puissiez apprécier ce reportage, je vous invite tout d'abord à oublier les clichés occidentaux sur l'Iran. Oubliez le film 300 représentant un empire perse plein de monstres de foire, oubliez les satyres de South Park et intéressez vous plutôt à des films comme Persepolis ou encore Les Chats Persans qui vous dresseront d'une manière très réaliste le monde d'Iran...
Après une révolution religieuse, l'Iran changea du statut de monarchie à celui de République Islamique. Aujourd'hui, l'Iran est gouverné par Mahmoud Ahmadinejad, qui fait trembler les puissants avec ses recherches sur le nucléaire ! Ignorant les technologies actuelles, j'ai donc décidé de rejoindre mon contact, Alireza Deineath, fondateur du webzine perse Misty Graveyard, après un long voyage jusqu'à Téhéran... Il est environ 23h lorsque le vol KLM 0433 en provenance d'Amsterdam ou j'ai fait escale atterrit sur le tarmac de l'aéroport, Imam Khomeini de Téhéran...
Mon appréhension est immense et même si les très bons contacts noués depuis des mois avec mon guide, et ma préparation très sérieuse de ce périple (une préparation non semée d'embûches lorsqu'il s'agit d'administration), font que je peux être quand même rassuré, un vrai frisson entre adrénaline et peur m'envahit...
Heureusement, l’accueil qui m'est réservé par Alireza me fera vite oublier tout ça... J'ai tellement de choses à découvrir ici et de questions à lui poser que ma passion l'emporte...
Je me pose enfin après une journée de voyage depuis Paris CDG le matin de mon escale à Amsterdam non sans dissimuler une grande fatigue , mais j'entame sans perdre de temps la conversation qui s'avère passionnante. Alireza me parle d'abord de son parcours personnel à travers la scène metal...
J'ai découvert la scène metal comme beaucoup d'autres gens dans le monde et j'ai choisi la musique pour libérer mes sentiments. J'ai commencé par écouter de grands groupes comme Pink Floyd, Thin Lizzy, Nirvana et tous les groupes que j'ai pu entendre dans la voiture de mon père. Ensuite j'ai découvert les grosses pointures de metal comme Metallica, Ozzy Osbourne... J'y ai entendu quelque chose d'énorme et j'ai commencé à m'intéresser au metal. Quand j'ai échangé mes CD de heavy avec des amis, j'ai découvert de gros disques cultes du black metal qui m'ont fait découvrir le genre : Transylvannian Hunger de Darkthrone et Dunkerlheit de Burzum !
Ensuite, Alireza me parle de son webzine, Misty Graveyard et de la direction qu'il lui a donné, et pourquoi il l'a ouvert...
Il faut savoir qu'il n'y a aucun référencement des groupes perses, rien qui puisse présenter les membres de groupes, les sources d'inspiration, leur manière de voir les choses et ainsi de suite. Il y a quelques années, un de mes amis a suggéré de créer une encyclopédie perse et nous voulions que ce site devienne la seule ressource d'information sur le black metal en Iran.
Pour plusieurs raisons, nous n'avons pas pu développer ce site et nous l'avons fermé ! Après ça, j'ai crée Misty Graveyard pour commencer à partager des informations sur le black metal avec d'autres Iraniens. Ce site internet s'est développé jour après jour et je postais des chroniques et des interviews de groupes comme Shining, Trist, Woods of Infinity...Au cours des deux dernières années, un ami s'est joint à moi pour créer une version bilingue du site, dans le but de le moderniser.
Dans son ensemble, que pourrais-tu me dire sur la scène metal en Iran ?
En fait, le metal en Iran est une activité totalement clandestine
car l’état actuel est contre ce genre de musique. Ils montrent la musique metal comme une activité négative et préjudiciable pour la société et communiquent ce point de vue dans leurs médias. Sans rien savoir sur le style ni sur le message des groupes, tous les sous-genres du rock et du metal sont étiquetés comme formations sataniques ! C'est pourquoi les groupes ici ne peuvent pas jouer librement. La première vague de groupes metal est arrivée dans les années 2000 : ils n'ont jamais pu voir la couleur d'un concert et étaient dans une situation vraiment précaire. Les studios professionnels les rejettent, et ils sont forcés d'installer des “home studios” pour enregistrer leurs albums.
Les fans de metal ont plus de liberté, jusqu'à aujourd’hui où grâce à Internet, ils peuvent télécharger intensivement des albums et faire tourner les informations...
Comme beaucoup d'autres dans le monde, les groupes iraniens ont commencé par produire des albums de mauvaise qualité... Mais étape par étape, ils ont développé leur musique jusqu'à obtenir un niveau “standard”. Après 2005, la scène metal iranienne a bénéficié d'une grosse promotion et a atteint alors un niveau très acceptable. Au début, ils composaient leur musique avec des logiciels de base. Maintenant, ils ont appris comment jouer de tous les instruments et comment mixer et masteriser leur travail proprement .
Au sein de la scène underground iranienne, peux-tu me dire quels sont les styles les plus répandus ?
Bien qu'il n'y ait pas beaucoup de groupes de metal en Iran, ils composent tous dans des styles différents. On peut dire que les styles principaux sont le black et le trash. Mais de nos jours, nous trouvons des groupes évoluant vers le death metal, le prog, le doom...
J'ai pu lire que vous deviez demander la permission au Conseil Islamique et au Ministère de la Culture pour organiser des concerts ! Avez-vous l'occasion de monter des concerts metal ? Parle-nous de la censure en Iran et aussi des conséquences que cela entraîne sur la scène ? Peut-on dire qu'il est dangereux de jouer du metal en Iran ?
Malheureusement c'est vrai ! La censure est la première raison du développement du metal en Iran car le fondement même de cette musique est la recherche de la vérité et la contestation illimitée. Le gouvernement actuel ne laisse aucun groupes de metal ni personne d'autre critiquer l’état dans son ensemble. Sous l'ancien président (Ali Akbar Hachemi Rafsandjani), il y a eu quelques permissions pour des concerts de metal mais avec tout de même une censure très lourde. Les chansons ne devaient pas parler de protestation et le public devait rester assis sur sa chaise avec interdiction de “headbanger” ! C'était inespéré malgré tout ! Mais aujourd'hui, aucun groupe de rock n'a d' accréditation de l’état puisqu'ils sont considérés comme satanistes ! À cause de ça,
certains organisent des concerts sauvages en prenant beaucoup de risques. Malheureusement, il y a deux ans, les forces gouvernementales ont attaqué l'un des concerts et beaucoup de métalleux ont été arrêtés. Certains ont eu une amende et d'autres ont été directement emprisonnés !
J'ai remarqué lorsque j'ai préparé cette interview que nombreux sont les musiciens à avoir quitté le pays pour vivre leur passion librement. Est-ce que cet “exode métalleux” engendre des problèmes pour la scène qui reste en Iran ?
C'est un fait horrible, mais c'est incontournable ! Ils ne peuvent pas jouer leur musique librement. Mais comme tous ne peuvent pas émigrer vers d'autres pays, ils restent donc en Iran et continuent malgré tout à composer leur musique.
Comment est la vie d'un métalleux dans un pays gouverné par une République- Islamique ?
La vie d'un fan de metal n'est pas à envier par rapport à celle des groupes. Le style cheveux longs, barbe, tee-shirts noir, boots : ce sont des choses dont la plupart se moquent totalement puisqu'il n'ont aucune idée de ce qu'est le metal. Les fans de metal veulent rester en marge de la société. Par contre, les rassemblements de métalleux en public sont interdits et le gouvernement les traite comme des “moins-que-rien” !
L'Iran a sa propre culture basée sur des millénaires d'histoire, est-ce que les anciennes cultures perses inspirent le metal iranien ? Comment influent-elles dessus ?
Les groupes en Iran ont tous leur propre point de vue, mais il y a en effet des groupes qui sont inspirés par la culture antique. De manière générale, les métalleux respectent le passé glorieux de l'Iran : la race aryenne (Iran signifie en Sanskrit “pays des Aryens”), la théosophie aryenne, Cyrus le Grand, la dynastie achaménienne, la grandeur de Persépolis ont inspiré les idées des groupes de metal iraniens.
Avez-vous des labels, des distributions ou encore d'autres webzines iraniens comme le tien pour soutenir votre scène ?
Non, il n'y a pas de structures légales, mais nous les soutenons en faisant de la publicité et en sortant leurs albums. Il y a beaucoup de webzines mais centrés sur le rock. Par contre, beaucoup de groupes iraniens sont sur des labels américains ou européens.
Dans quelle ville la scène est la plus active ?
Nous pouvons dire que le berceau du black metal est Shiraz et Téhéran, le death metal, quant à lui, est né à Mashlad.
As-tu des groupes à nous faire découvrir, tout style confondus ?
Il y a beaucoup de groupes qui sont inconnus sur le plan international... Dan le death metal, nous pouvons vous parler de Mordab et Arsames qui ont un style puissant et technique. Ils étaient présents dans certains festivals internationaux et vont sortir leurs nouvel album prochainement. Dans le black metal, nous pouvons parler de Dark Leader et dans le doom metal de Trauma Heis qui était le phénomène de l'année dernière. Le groupe Warathraan, lui, excelle dans la musique ambiante d'une façon talentueuse et novatrice...
Aurais-tu un “coup de gueule” à pousser contre le metal en Iran ?
La scène metal en Iran ne se résume pas seulement à la musique. C'est une guerre, une idéologie ! Ce genre n'est pas un “hobby” pour ses fans car ils ne reculent pas devant les problèmes. Ils ressentent la douleur, la tristesse, la violence et le déni avec leur cœur et leur âme ! Ils ne créent pas de musique pour être célèbres contrairement à certains groupes de metal américains ou européens ! Même s'ils sont rejetés par la société, ils travaillent de plus en plus dur. On remarque aussi que certains s'inspirent de l'ancienne tradition aryenne. Ils ont créé un nouveau genre qui est connu sous le nom d'“Iranian / Persian black metal” qui n'a rien à envier au “Nordic Danish Swedish black metal”. Tout le monde ne sera pas forcément d'accord, mais la scène black metal d'Iran démontre qu'il existe quelque chose en dehors de la Scandinavie !
Ayant été initié aux hybrides mélodies black orientales de Melechesh, j'ai pu apprécier le son iranien avec un véritable intérêt personnel. Même si les compositions rappellent un peu le combo “Mesopotamian Black metal”, on ressent une puissante personnalité dans les groupes iraniens actuels. Ce qui est d'ailleurs intéressant, c'est de voir la vive critique de l'Islam à travers de nombreux groupes de black anti-religieux !
En effet, alors que le black metal naissait en Norvège en rébellion socio-culturelle face à l'église luthérienne d’état norvégienne, ils est utilisé par des groupes iraniens pour nuire aux conventions culturelles de la République Islamiste d'Iran par l'Art. Une espèce de seconde naissance du black metal en quelque sorte. Par contre, il est intéressant de noter que la musique iranienne n'est pas brutale et violente pour autant, on peut découvrir des groupes aux univers très développés au sein desquels l'ambiance et le message sont bien plus travaillés que le côté radical de la musique.
L'histoire de la scène metal iranienne est, bien entendu, comme toutes les autres compliqué : elle a eu un début timide avec un niveau faible, et s'est amélioré avec le temps. Nous pouvons dire qu'aujourd'hui, l'âge d'or du metal iranien est arrivé : la première génération de groupes a pu distiller la « mentalité metalleuse » à travers l'Iran. La nouvelle génération s'est appropriée cet état d'esprit en incluant les valeurs et l'important passé historique de l'Iran, ce qui offre un metal à la personnalité inimitable et unique !
Ce qui prouve encore une fois que la communauté metalleuse n'a pas de frontières et que le metal peut être écouté partout !
Bien sûr, il faut comprendre que ces groupes se développent d'une manière totalement sporadique sous forme de « one-man-bands » compte tenu de la forte répression et de la censure.
En fait, il est étonnant de découvrir du metal extrême en Iran et de se rendre compte qu'ils vivent réellement l'imaginaire rebelle que nous fantasmons dans nos pays occidentaux avec notre musique. Nous nous plaignons de ne pas avoir de salles pour accueillir nos concerts, eux n'en ont pas du tout ! Ma rencontre avec Alireza m'a fait prendre conscience de ma condition de metalleux et je l'en remercie...