Reportage Exclusif
en Indonésie ...
De Jakarta à Bali …
- De notre envoyé spécial, Florent Bécognée -
Le 22 juillet 2012, après quelques 18 heures d’avion entrecoupées d’une escale à Taipei (Taïwan), où la seule attraction est de faire prendre la pause aux hôtesses de l’aéroport, et d’une autre à Denpasar, capitale de Bali, le vol Lion Air JT36 atterrit sur le tarmac de Jakarta. C’est ici que commence une aventure de quelques jours en Indonésie à la découverte d’une scène metal assez peu connue de par chez nous.
Ayant déjà préparé quelques rencontres avant le départ, mon correspondant indonésien Mondroe Syaraf m’attend à la sortie de l’avion, panneau d’accueil à la main. La chaleur est accablante, autant que l’humidité ambiante. Impossible de voir le ciel, d’ailleurs, même si aucun nuage ne semble exister là-haut. La pollution fait son travail. L’autre joie de cette ville de neuf millions d’habitants, c’est le trafic (CQFD pour la pollution). Les transports en communs sont limités, 60% de la population possède donc une voiture et le résultat, ce sont six heures de bouchons quotidiens dans toute la ville, chaque jour. La dégustation du trajet en bus me fait faire connaissance avec Mondroe, personnage reconnu et pourtant discret du monde du metal indonésien, qui a pris trois jours de congé pour m’accompagner et me préparer un programme aux petits oignons. On a bien sûr le temps de regarder quelques photos live de l’événement qu’il a organisé en 2011 à Jakarta - Bulungan : un festival Tribute à Cradle Of Filth. Quarante groupes auditionnés, vingt cinq retenus, chacun joue une reprise et une musique personnelle, 1200 personnes, une journée de black metal. « Il y a autant de groupes que cela en Indonésie, juste pour jouer du Cradle Of Filth ? ? », dis-je. Oui, et ce n’est rien comparé à l’étendue d’une scène en pleine croissance, comptant largement plus de mille groupes actifs, le nombre officiel étant dur à trouver.
Avant de se lancer plus loin, il y a tout de même quelques éléments à prendre en compte en ce qui concerne l’Indonésie, ce pays qui fait trois fois et demi la superficie de la France. Chaque habitant ou prétendant doit se soumettre à l’une de ces religions : Islam, catholicisme, hindouisme, bouddhisme ou confucianisme. L’Islam est largement majoritaire (85 %) et cette proportion semble être a priori respectée dans la communauté metal indonésienne. Cela peut faire évidemment sourire, puisque les groupes de metal français musulmans doivent se compter sur les doigts d’une main. Et surtout, le contraste avec la difficulté d’expression bien connue des groupes de metal au sein de nombreuses scènes islamiques dans le monde est assez flagrant. Pour info, relisez le reportage Metallian en Iran (#66) ou encore une approche de l’incongruence entre mouvements islamiques et metal relatée dans le livre Heavy Metal Islam, de Mark LeVine (édition Three Rivers Press).
L’islam n’est pas un frein, ou très peu, au développement des groupes de metal en Indonésie. En atteste la fameuse communauté Metal Satu Jari de Jakarta, prônant le Salam Satu Jari (il s’agit, à l’inverse des deux doigts pointés communément admis dans le metal, du salut à un doigt : il n’y a qu’un dieu, et c’est Allah). L’idée, soutenue par Ombat, leader du groupe Tengkorak, est de développer une nouvelle perspective : jouer de la musique, mais encore morale et religieuse. Malheureusement, malgré mes différents appels sur place, il me sera impossible de le rencontrer. Certains me diront qu’il appréhende l’occident et les medias. Mais pas de généralités, le Salam Satu Jari (One Finger Movement) est une exception et concerne uniquement quelques groupes, comme Inner Beauty (chanteuse non voilée, au passage) et Purgatory… Pour le reste, la religion est souvent écartée du monde musical.
Autre point essentiel : les groupes de metal indonésiens ne sont pas des électrons libres, comme en Europe. Le principe de ‘communauté’ est extrêmement répandu et permet de rassembler un certain nombre de groupes sur la base du couple : style de musique / localité géographique. Ainsi se justifie un bon nombre de communautés comme Jakarta Black Metal (JBM), Cimanggis Death Metal (de Bogor) ou encore Pasukan Cijantung Death Metal (« Troupe Death Metal du quartier Cijantung (Jakarta Est)). Réunissant entre dix et quinze combos pour faciliter l’échange, les enregistrements, la distribution et la réalisation de merchandising, c’est aussi une certaine force pour organiser des concerts et inviter des groupes d’autres communautés.
Alors que la nuit tombe dès 18 heures, et cela tous les jours de l’année, nous arrivons dans l’Est de Jakarta au studio de répétition et d’enregistrement de Rottrevore Records, label très actif sur la scène death metal de Jakarta.
Dans une ambiance très sympathique et encore chaude, assis sur un tapis à l’entrée du studio, j’entame la discussion avec Achi Daivasti et Andre Tiranda II, responsables du label. Andre est aussi guitariste d’un des groupes de death les plus connus en Indonésie : Siksakubur, qui a déjà eu l’occasion de jouer en première partie de Marduk, Decapitated, Kreator et Dying Fetus. Plus qu’heureux que Metallian leur rende visite, le couloir se remplit de métalleux et le jamu (liqueur à base de raisins et certainement d’autres ingrédients) est servi. L’envie de faire découvrir leur scène à un autre pays devient très palpable.
Quand et comment tout a commencé, pour Rottrevore Records ?
Andre : En 1998, si je me souviens bien. Au début, c’était une newsletter, un zine underground imprimé en noir et blanc, en indonésien. Il était traduit en anglais, comme le premier numéro de Metallian que tu m’as montré. Le mag est né à Bandung grâce à un ami guitariste, et comme on avait de bonnes relations, on a décidé de transformer notre investissement en label de production. Deux gars pour le magazine et deux autres pour le label, monté en 2000. En 2010, nous avons créé un gros festival pour le dixième anniversaire du label, peut-être le plus gros festival death metal à Jakarta… non, en Indonésie ! (Rires !) De grandes scènes, une grosse production, de nombreux jeux de lumière… on aurait dit le And Blood Was Shed In Warsaw de Vader, c’est ce que l’on voulait ! Le plus gros problème, en Indonésie et pour la scène extrême, c’est d’avoir des investisseurs, du mécénat. Et si on a du mécénat, il faut mettre la marque derrière le batteur et ça on ne veut pas !
Rottrevore a-t-il été le premier magazine en Indonésie ?
Non, ce n’était pas le premier, je pense qu’il s’agit de Brainwash, en 1995 ou quelque chose comme ça. Tu sais, la scène en Indonésie n’est pas récente, peut-être 1985 ou 1986. Ca a commencé par du heavy metal à la Maiden, Priest, NWOBHM. Ca s’est beaucoup démocratisé par le piratage. En 1990, un label –que je ne mentionnerai pas- a piraté la compilation Grindcrusher sortie par Earache Records en 1989. Et bien il l’a réalisée ici, sous un nom différent, Thrash Generation, avec le même contenu. Entombed, Napalm Death, Morbid Angel, Naked City, tous ! Elle était en vente dans les grandes surfaces ! Le piratage, c’est très mauvais, mais ça a permis d’atteindre les masses. Je pense que beaucoup de monde en avait marre de Bon Jovi, des Guns & Roses. Et ce genre de musique, dans un pays dont le gouvernement est vraiment nul, c’est ce qu’on attendait. Quand Sepultura est venu ici, en 1992, 40 000 personnes se sont déplacées pour les voir, juste à Jakarta. En jouant à Surabaya, ils ont attiré autant de public ! 80 000 personnes au total devant des gars qui ont commencé par dire que leur meilleur show était à Barcelone, avec 1000 personnes (Rires !). Ils ont même dormi au Hilton, les premiers death-thrasheurs au Hilton !
Comment la scène indonésienne a explosé, à partir de cette période ?
Au niveau du black, death, punk, hardcore, tout a explosé à ce moment-là. Et le death et le black indonésien sont les plus représentatifs dans toute l’Asie, aujourd’hui. (NDLR : petite pause Jamu, en guise de verre de l’amitié, et j’ai plutôt intérêt à le boire).
Comment sont les communautés metal, en Indonésie, sont-elles divisées par genre ou bien se regroupent-elles toutes en une seule ? Je dis cela parce que Cakra de Ludah Productions (black metal) situé à Grezik dans l’est de Java m’a dit que les groupes de Jakarta étaient principalement des « trendies », des poseurs.
Elles sont divisées, mais les relations entre elles sont très bonnes. Il est évident qu’il y a des différences entre les communautés surtout si elles sont loin l’unes d’elles. C’est un problème d’égo, certainement. « Mes groupes sont les meilleurs, etc »… Le plus vieux label de black metal est de Jakarta. Il n’existe plus parce que le gérant est devenu policier ! (Rires !) Il a produit de très bons groupes comme Ritual Orchestra et d’autres, proches d’Immortal ou encore de Satyricon.
La scène black metal est-elle donc proche de la scène scandinave ?
Oui un peu, je crois. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Cela dit de nombreux groupes ont ajouté avec le temps des éléments traditionnels indonésiens. C’est du pagan black metal. Il y a beaucoup de rituels propres à l’Indonésie. Bien sûr, rien à voir avec la Scandinavie. Quand ces groupes ont commencé, ils ont suivi les pas d’Enslaved, Dissection, mais ils se sont construits autour d’éléments traditionnels et l’histoire de nos ancêtres, comme l’a fait l’un des premiers en la matière : Eternal Madness. Je les ai dépannés à la guitare après un accident. A Bali, ils ont une tradition mystique, proche de l’hindou, mais davantage balinaise : le Calon Arang (NDLR : Putu, propriétaire du studio de répétition Rey Band sur l’île de Bali me dira qu’il s’agit de rituels visant à faire apparaître ceux qui ont disparu, ou encore tuer sur commande une personne malveillante). Les groupes sont plus dans ce trip, et au final, on peut compter sur les doigts d’une main ceux qui adhèrent à l’Eglise de Satan, celle de LaVey.
Rottrevore ne produit-il que des groupes indonésiens ?
Oui, complètement ! C’est un souhait de ne produire que des groupes locaux, même si j’ai eu des propositions de groupes asiatiques, singapouriens, thaïlandais… Je veux construire notre scène, et il y a assez de bons groupes ici ! Je sais que beaucoup de formations européennes se font produire à l’extérieur de leur pays, mais ici, c’est surtout une question d’argent, les groupes n’en ont pas autant que les vôtres ! Et je ne parle pas que de Morbid Angel chez Season Of Mist ! (Rires !).
Dans l’autre sens, des groupes indonésiens signent-ils des contrats à l’étranger ?
Oui, quelques uns, comme Bloody Gore, un groupe de brutal death, qui avait signé avec Uxicon Records, un label Belge tenu par le gars d’Agathocles. Gelgamesh chez l'italien Despise The Sun Records, et il y en a beaucoup d’autres. C’est plus facile dans ce sens-là.
En termes de distribution, comment ça se passe, en Indonésie ?
Concernant Rottrevore Records, on deale avec des distributeurs locaux et points de vente. Rien de très grand ni de très organisé. Beaucoup de trade avec des labels, mêmes aux US, pour vendre les disques en dehors. Mais au final, le gros des ventes se fait pendant les concerts. C’est encore ce qui marche le mieux. Après, nous sommes aussi touchés par le téléchargement. Certains nous demandent même un lien avant que l’album ne soit officiellement sorti. Mais on n’en souffre pas encore trop, le public continue à acheter les CD. Et puis il est compliqué de télécharger des t-shirts… (Rires !) Le jour où ça se fait, même Megadeth aura des problèmes.
Comment se porte la scène indonésienne, aujourd’hui ?
Elle est très importante, et continue à devenir grosse, très grosse ! C’est la technologie qui permet cette explosion. Mais il ne faut pas oublier la situation politique et économique de ce pays. Il est dur de trouver un travail aujourd’hui, alors on a plus de temps pour faire de la musique ! (Rires !)
Vue la situation dont tu parles, est-ce que vous ressentez une certaine censure ?
Oui, de la part de ce gouvernement, mais aussi des fanatiques religieux. Mais pas que de la part des musulmans ! Il y a aussi des églises chrétiennes remplies de fanatiques ou encore ces mormons… on a de tout, ici ! Ils essaient d’empêcher de faire des concerts. Mais on fait avec, personne ne meurt pendant les concerts, donc on n’y fait pas attention. Et là, j’en viens à parler du metal Satur Jari, la communauté du metal à un doigt. C’est une communauté dont le concept est basé sur un islamisme extrême. Quand ils sont sur scène, ils balancent « les vrais terroristes, ce sont les américains, anglais, français, italiens » etc., mais ils portent des t-shirts de Suffocation ! (Rires !) C’est énorme. Et pourtant ils te disent de ne pas tenir la main de ta copine en concert si elle n’est pas encore ta femme, pas de cigarette, et tout un tas d’interdictions.
Ce n’est pas un peu tirer sur la corde du « m’as-tu-vu je suis le plus extrême » ?
Bien sûr ! Tout est question de recherche de popularité. Au-delà de Tengkorak, porte-drapeau de ce mouvement, il y a quelques groupes comme ça et de plus en plus d’ailleurs. Si tu n’es pas un musulman, pour eux, tu n’es rien ! Je n’irai pas à un de leur concert, je ne veux pas me faire tuer ! (Rires !). En Indonésie, on peut tous porter des tee-shirts de Marduk « Fuck Me Jesus » ou le « Jesus is a cunt » de Cradle Of Filth, mais il est inimaginable d’en porter un qui mettrait Habib dans la même position. (Ndlr : Habib Salim Alatas, président à Jakarta du Front des défenseurs de l'islam (FPI) qui avait menacé de « mettre le feu à la scène » si Lady Gaga se produisait en Indonésie). Bon et sinon, vous avez ce bon vieux Ibrahimovic à Paris, maintenant ! ! Il a le plus gros salaire dans l’univers ! (Rires !)
Quel intérêt pour un groupe de black metal indonésien, qui a de grande chance d’être musulman, de parler de Satan ?
Effectivement, ils parlent de Lucifer et de tous les autres mais ne sont même pas chrétiens. C’est un peu facile. En tout cas, il n’y a aucun groupe NSBM. Certains punks ont traité de ces sujets, mais plus vraiment.
Quel est le groupe indonésien le plus connu au niveau international ?
C’est certainement Burger Kill ! C’est le Lamb Of God indonésien.
Lorsqu’un jeune groupe essaie de se monter et d’enregistrer un album, quelles sont les difficultés auxquelles il doit faire face ?
D’abord : la permission des parents. (Rires !) Ensuite, c’est l’argent. Avec de l’argent, tu fais tout, ici.
Après cette excellente rencontre, retour dans un hôtel sans fenêtres qui s’ouvrent, sur un scooter derrière un ado’ à deux heures du matin… et prêt à découvrir un emploi du temps qui a eu tendance à se répéter sur les quelques jours de ce voyage. Oui. La journée type d’un reporter à Jakarta est divisée en trois : attendre entre trois et quatre heures Mondroe avec du café comme seul ami (oui, on est en plein ramadan), passer deux à trois heures en bus pour se rendre d’un point A à un point B en profitant à fond des embouteillages, et enfin rencontrer du métalleux. Au bout de quelques jours, mon ami « Mondroe » est devenu « Take it easy », ces mots étant la seule réponse qu’il avait pour me calmer quant aux deux premières parties de la journée.
Au petit matin, nous faisons un tour dans les boutiques metal de la capitale. Ici comme ailleurs, il n'y a pas de magasin spécialisés. Quelques étalages de tee-shirts, plus à l’effigie de groupes locaux qu’internationaux, d’ailleurs. Mais pour acheter des disques, ce n’est pas sur ces points de vente qu’il faut compter. Les groupes indonésiens ne sont finalement pas dans une logique de vente. Et s’ils le font, c’est lors des concerts... et ils demandent pour combien l’acheteur en veut. “Music for ourselves, music for souls”, me dit Mondroe.
Après une petite pause (enfin un endroit normal dans cette ville) sur la place du marché de Kota Tua (vieille ville encore marquée par l’architecture hollandaise), direction l’Est de Jakarta pour une rencontre avec la nouvelle génération extrême de la ville. Le brutal death metal et le grind sont les mouvements musicaux les plus représentés en Indonésie, et cette soirée ne fera que confirmer les statistiques. Invité à assister aux répétitions de Scoundrel To Lucifer (brutal death grind core) et From The Soil (grind), c’est finalement au chant que votre serviteur est invité pour jammer sur des compos terriblement techniques et férocement brutales. Cette jeunesse ne fond pas dans l’originalité, c’est certain. Mais peu importe, ce n’est pas ce qui prime dans la sphère musicale de Jakarta : il faut être brutal. C’est Angger (guitariste chanteur de Death Of Authority : hardcore death) qui s’exprime, certainement parce que c’est le plus âgé de la troupe (26 ans) et parce que lui sait parler anglais, ce qui n’est pas réellement le cas de la majorité des indonésiens…
Angger, peux-tu présenter ton parcours sur la scène extrême ?
Je suis venu au metal à 14 ans. J’ai commencé à jouer du punk, puis du crustcore et maintenant du hardcore death. Beaucoup de groupes à Jakarta font du death grind et les jeunes générations suivent assez facilement les modes. Sur Java, en dehors de la capitale, les groupes de black metal et de gothiques abondent.
Il y a énormément de jeunes dans le metal extrême, c’est une sorte d’épidémie ! Ils essaient chacun d’appartenir à deux ou trois groupes, et tout fonctionne par communautés, comme tu le sais. Elles sont une spécialité de l’Indonésie, surtout à Jakarta. Là, nous sommes dans la zone Est de la ville et chaque partie développe ses particularités musicales. De notre coté, c’est très death grind. Au Nord et à l’Ouest, la dominante est hardcore, mais aussi black et doom metal, dans les parties les plus rurales. Cela n’empêche pas les groupes de plusieurs communautés de jouer ensemble. Entrer dans une communauté, c’est facile, tout comme en sortir, il n’y a aucun problème.
Même pour la communauté du metal Satu Jari ?
Concernant le metal Satu Jari, il faut obligatoirement être musulman pour y entrer. Ils ne croient qu’en un dieu, Allah. Mais on se sent proches d’eux, comme Tengkorak, même si notre objectif est plus d’enregistrer des albums et jouer en concert. Au sein de notre communauté, comme pour Death Of Authority, les paroles traitent essentiellement de mort, de violence, d’oppression, de problèmes sociaux. On se sent touchés par cette oppression, qui naît de la corruption au sein du gouvernement, même si on a la chance de pouvoir jouer. Nous nous sentons concernés par l’augmentation des prix, que ce soient ceux de l’essence ou de la nourriture… mais pas grand-chose concernant la religion, ça reste privé. C’est un sujet très sensible en Indonésie.
Après la répétition, la vingtaine de jeunes se rassemble et nous continuons à discuter religion et bien sûr metal. Et si la scène est très soudée, elle sublime les groupes occidentaux comme Cannibal Corpse, Nile, Defleshed, Decapitated, Necrophagist, Lamb Of God, Terrorizer, Napalm Death, Betraying The Marthyrs, Agathoclès et bien sûr Iron Maiden, pour ne citer qu’une partie de l’effusion de références qui émane de l’assemblée. J’apprends au passage que les tarifs ne sont pas les mêmes qu’en France pour enregistrer un album. Au total 2 000 000 de roupies pour l’enregistrement, mixage, mastering, pressage. Ca fait 200 euros…
Après une journée épuisante mais très enrichissante, le planning du lendemain est pensé : je vais rencontrer la communauté Pasukan Cijantung Death Metal. Je n'ai toujours pas de nouvelles d'Ombat, et Mondroe devient un peu plus agressif au téléphone avec lui : il ne veut pas qu'il lui fasse honte. Tout était prévu, interprète, horaire etc. Mais au final, cette rencontre ne sera jamais honorée, ni avant, ni pendant, ni après le voyage…
Le soleil se lève, lourd, sur une journée qui passera très vite jusqu’à ce que l’on se déplace au Free Style Productions, magasin de metal mais aussi meeting point d’un soir de la communauté Pasukan Cijantung Death Metal, qui a invité pour l’occasion le Jakarta Black Metal. Ce soir, je rencontre Barzakh, Authority, Stupid Nation, Dead Carnation, Humaira, Grausig… Du beau monde prêt à tout pour parler de son art et des concerts, nombreux en Indonésie. Timur et Nakem, les chefs de file de la communauté, parlent avec passion de brutal death et de religion : « Il ne faut jamais combiner religion et art. Mais le Metal Satu Jari n'est pas pour moi l’extrême de la religion, ce n'est pas du fondamentalisme, même si certains fondamentalistes peuvent entrer dans cette communauté. Hors de Jakarta, personne ou peu connaissent ce mouvement, mais ils peuvent récupérer et influencer des groupes ».
A les écouter, 25 % des musulmans aiment le métal. Mais en période de ramadan, les concerts sont inexistants, bien sûr, et il n’est donc pas rare qu’il y ait cinq concerts la veille de la première prière… ! Le metal, c’est sacré, mais pas à cette période. Et c’est tellement sacré que celui qui bafoue l’art extrême s’en repentit. C’est ce qu’a dû comprendre, dans un autre domaine, le groupe Hoboran, un fake de metal commercial plus pop immonde que rock. Une communauté s’est d’ailleurs créée et a diffusé des tee-shirts contre cette formation. Aujourd’hui, 35000 métalleux combattent contre lui dans toute l’Indonésie. Le label cherche encore l’administrateur de la page, en vain… 1000 personnes ont déjà le tee-shirt !
La discussion continue et lorsque l’on aborde les concerts, la notion de corruption revient vite, l'Indonésie étant le quatrième pays au monde dans ce domaine. Il faut dire qu’un événement ne rassemble pas deux ou trois groupes, mais une dizaine au minimum : « Pour organiser un événement, c’est parfois compliqué. Il y a tellement de corruption qu'il suffit de payer pour avoir un permis. Et beaucoup de groupes évoquent la corruption dans leurs paroles ».
La question de la presse se pose alors ! Qu’en est-il ? Metallian a-t-il son équivalent sur cette scène ? John Yoedi du webzine Buzuk E-zine m’apporte quelques éléments de réponse.
John, peux-tu présenter Buzuk E-zine ?
J’ai commencé Buzuk (« Pourri », en Français) il y a plus d’une dizaine d’années, et avant d’en faire un e-zine, c’était un magazine/newsletter. J’utilise aussi le nom de Buzuk pour mon magasin de metal. Buzuk E-zine est né en octobre 2011, lorsque j’ai rencontré Kieran James de l’Université de Queensland (Towoomba : Australie). C’est un écrivain, un promoteur du metal indonésien, mais aussi l’auteur de livres sur le metal. Le zine est en indonésien et aussi en anglais. Les réponses sont très positives et nous y travaillons dur. A coté de cela, nous supportons les groupes pour leurs promos, démos, splits albums, albums, et nous aidons la mise en place d’un certain nombre de concerts en Indonésie.
Quelle est la situation de la presse en Indonésie ?
Concernant la presse papier, elle n’est pas vraiment développée, surtout dans le metal extrême. Mais je suis fier d’un ami de Jakarta et de son magazine papier Undying Music. Il y a un peu plus d’e-zines, comme Xtreme Webzine, Blasting Of Death Webzine ou encore East Java Kingdom Webzine…
On m’a parlé de difficultés liées aux autorités dans l’organisation des concerts, quelle est ton opinion ?
En effet, ce n’est pas aussi facile que ça, nous avons intérêt à coopérer avec la Police. S’ils ne comprennent pas ce qu’est le metal extrême, il faut leur expliquer. Et s’ils continuent à penser que cela pourrait être néfaste pour une raison ou une autre, c’est mort… Chaque groupe appartient à une communauté et celles-ci s’aident entre elles, c’est le meilleur moyen pour organiser des concerts. Il n’y a aucun sponsor en particulier, ici, nous essayons de travailler avec tous ceux qui s’investissent dans cette scène. Il arrive que quelques concerts soient soutenus par une compagnie de tabac, mais ça reste anecdotique.
Ce qui ressort de ces quelques interviews et rencontres au sein de l’underground de Jakarta, c’est une grande passion pour le metal, une scène en pleine croissance quelle que soit la couleur religieuse et les difficultés rencontrées, mais aussi des communautés solides qui s’entraident et des concerts géants dès que l’occasion en est donnée. A ce propos, il serait bien malpoli d’oublier de parler du Hammersonic Festival, l’événement metal le plus important en Asie du Sud Est ! Et pour ce faire, posons le micro sur la table de son géniteur et penseur : Ravel Junardy.
Quelle est l’histoire du Hammersonic Festival et de Revision Entertainment ?
Concernant Revision Entertainment, j’avais un grand rêve, celui d’organiser des concerts de grande musique. Pas uniquement de metal, d’ailleurs. Outre le metal, j’ai commencé par des concerts de pop, de rock etc. Le Hammersonic Fest est une réponse au fait que je n’ai jamais vraiment vu de festivals professionnels en Indonésie. J’ai donc cherché à marquer l’histoire metal de ce pays en créant le premier festival metal international. Son ouverture à l’international a été le réel défi que je me suis imposé. Et je ne te dis pas ce que ça fait, de voir 30 000 dingues qui participent à un fest comme celui-ci !
Le Hammersonic Fest est en effet le festival le plus important en Indonésie ! Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ?
En fait, il n’y en a pas tant que ça. Beaucoup de grandes entreprises me supportent, comme la plus grosse compagnie de production indonésienne : Sumber Ria Production.
Je viens d’en discuter avec John de Buzuk E-zine… Mais je voudrais avoir ton avis. Est-ce que les autorités, incluant la Police, ont changé leur approche de tels événements, avec le temps ?
Oui, la situation est plus facile qu’il y a quelques années. Il faut dire que j’ai priorisé la sécurité sur le Hammersonic, ce qui rend leur travail plus facile (Rires !).
As-tu déjà été approché par des groupes français, pour accompagner des formations de taille comme Suffocation, Nile, Impiety ou encore D.R.I. ?
Non ! Aucun groupe français ne m’a encore contacté. Mais dans le futur, je l’espère !
Quels conseils donnerais-tu aux nombreux organisateurs amateurs de festivals indonésiens pour qu’ils puissent davantage développer la scène extrême ?
Faites des événements plus professionnels, en commençant par les détails. Si vous accordez beaucoup d’importance aux petites choses, les plus grosses seront plus faciles à gérer !
Départ sur Bali
Je dois maintenant laisser Mondroe et partir sur l’île de Bali, mais avant, nous nous régalons de Baphomet, c’est comme ça que le métalleux appelle le sate kambing : brochettes de chèvres sauce cacahuètes. A l’image des autres groupes et personnes rencontrées sur place, Mondroe est devenu un ami. En espérant qu’un étranger ait le même accueil en France… Une pensée me vient en tête, c’est celle, en comparaison à ce pays, à l’individualisme collectif de la scène française. Enfin… ces quelques jours ont été épuisants mais c’est comme si je sortais d'une autre planète. Très enrichissant.
Après quelques heures d’avion je rejoins Engkie, mon contact balinais que j’avais rencontré à un concert de son groupe de rock, pas très loin de la plage de Kuta. Direction le Rey Studios de Denpasar, capitale de Bali. L’air est bien meilleur, tout comme la chaleur, le paysage, bref… tout, en fait. Après cette longue escale à Jakarta, j’ai l’impression de sortir de prison.
Ce soir, un concert regroupe onze groupes. Putu, le tenancier de ce studio rassemble tous les mois les formations habituées au studio pour un concert rapidement organisé, durant lequel chaque groupe joue deux ou trois morceaux. « Ceux qui veulent viennent jouer. C'est gratuit pour tout le monde aussi bien pour les groupes que pour le public. Question partenariat, on a Up Mild, une marque de cigarette de java qui me donne un peu d'argent. Mais bon, c’est léger », commente Putu. Sur place, de nouvelles têtes et de nouvelles communautés, comme le Trojan Death Metal Bali et le Bali Extreme Metal. Encore une fois, les groupes sont heureux de cette rencontre, tout comme moi.
Bali, c’est aussi l’inscription d’une dimension plus traditionnelle dans l’art extrême. Ces croyances et rituels païens sont ceux des générations qui continuent à le faire perdurer autant dans les actes que dans les mémoires. Outre Durhaka (black metal), Eternal Madness (death/black metal) fait partie de ces quelques formations qui colorent leur musique d’une dimension culturelle et instrumentale locale.
Moel Madness (chant, basse) me confie à ce propos : La musique est un langage universel et Eternal Madness est une acculturation entre death metal de l’Ouest et la musique traditionnelle du Sud Est de l'Asie. Le groupe est né de l'honnêteté de l’alliance de jeunes Balinais, fans du death metal, de l’enfer et des désastres qu’il évoque. Bali est une île paradisiaque mais elle possède aussi une forte culture traditionnelle pouvant être interprétée avec le gong balinais et le gamelan (ensemble de percussions balinaises), que nous utilisons sur nos albums. Nous jouons du "lunatic death metal" et les paroles évoquent la situation mentale de quelqu'un qui a tout appris de la sombre spiritualité épique et traditionnelle de Bali.
Voici donc un résumé de ce voyage aux confins de l’underground indonésien. Et outre les informations divertissantes qu’il a permis de mettre en avant, il en ressort un enrichissement musical et personnel, un autre point de vue sur une même passion, à première vue vécue de façon différente, mais dans le fond, pas autant. Et il resterait tant à découvrir… Un énorme merci à Mondroe (« Take it easy !»), Andre Tiranda II (Siksakubur / Rottrevore Records), Achi (Rootrevore Records), Perisai Timur & Nakem (Pasukan Cijantung Death Metal) , John (Buzuk Ezine), Ravel (Hammersonic Festival), à toutes les communautés et groupes extrêmes de l’île de Java et de Bali.
GroupesPrincipaux…
BURGER KILL : death metalcore
SIKSAKUBUR : brutal death metal
TENGKORAK : death metal / grind
NOXA : death metal / grindcore
KILLHARMONIC : death metal technique
DEADSQUAD : brutal death metal technique
SERINGAI : stoner metal
DREAMER : death metal mélodique / gothique à chant féminin
JASAD : brutal death metal
MAKAM : black metal
ETERNAL MADNESS : black metal
DURHAKA : black metal
MAYAT : black metal
DEATH VOMIT : brutal death
GRAUSIG : death black metal
BLEEDING CORPSE : brutal death metal
GORE INFAMOUS : brutal death metal
LUMPUR : brutal death metal
ASPHYXIATE : brutal death metal
DISINFECTED : death metal
FORGOTTEN : death metal
Autres Groupes Rencontrés…
SCOUNDREL TO LUCIFER : deathcore
FROM THE SOIL : death grind
BARZAKH : black metal
DEATH OF AUTHORUTY : hardcore death metal
DEAD CARNATION : brutal death metal
STUPIDNATION : neo death thrash metal